Les chiens aboient, on attend le camion du

Les chiens aboient, on attend le camion du boucher. Si les chiens aboient, c'est qu'il n'est pas loin, pourtant il n'arrive pas. Mais on se fie d'autant plus aux chiens que l'on entend pas son klaxon (car les chiens entendent le bruit de son roulement), peut-être parce qu'il y a ce vent qui, d'hier petit agité, s'est transformé par la nuit en masse brutale, ample et vigoureuse, qui efface largement les sons, les sons lointains. On est quelques-uns à s'être portés à la rencontre du camion, haut dans le village, pour être servi d'abord parce qu'au "centre" il y toujours du monde et qu'il tarde déjà bien. Les chiens de T. se tiennent depuis un moment à quatre ou cinq sur la placette, hâtifs. Plus tard c'est Hoche (une prononciation de Hutch) qui s'est excité derrière son portail. Ensuite ça n'a plus traîné ; on a entendu le klaxon, on était là. Le boucher s'est mis à raconter qu'hier soir ses amis sont venus par surprise pour lui fêter ses soixante ans ; ils sont venus des Saintes-Maries-de-la-mer avec trois camions d'un traiteur, une remorque avec un cheval camarguais en cadeau, mais sa fierté à lui venait surtout de ce qu'une dame de 92 ans avait fait le trajet pour lui faire la fête, et qu'il n'était "pas allé au lit" — comme il dit. Il était encore assez ivre pour bien raconter l'histoire ; mais surtout, que ses amis, qui lui téléphonaient encore tandis qu'il était en train de servir, avaient tenté de le dissuader de faire sa tournée, puisqu'il prend la retraite à la fin du mois, qu'il s'en foute ! et qu'ils étaient prêt à lui racheter la viande à fin qu'il n'y perde pas, mais lui était venu, il était là, livrant la commande de rognons d'une dame qui ne viendrait que le mercredi sinon. Il était fier et heureux.
Le vent a continué de souffler cependant, toujours fort et en tous sens sous un ciel plombé, intense et étendu, jusqu'à ce qu'autour de 14 h. 30 il se mette à pleuvoir, un peu, des gouttes nombrables, à se demander si c'était de la pluie, si ça allait arroser. Un leurre de pluie qui s'est élancé peu à peu en pluie vraie, mais intermittente, parfois avec des averses plus fortes. Après 16 h. 30 une de ces averses n'a pas cessé, et a donné bien au contraire la grosse ondée jusqu'à 18h., diminuant ensuite quand soudain, les nuages prenant de l'altitude : soleil. Alors il y a eu des grandes plages de ciel bleu qui se sont rebouchées, puis une dernière éclaircie franche et latérale à 21 h.